PAR JO GATSBY
ANGERS (Jo-gatsby-s-way) - Il n'y a jamais eu autant de disfonctionnements en un demi-siècle d'exploitation du rail dans l'hexagone, au moment précis où la Société Nationale des Chemins de Fer Français (SNCF) s'apprête à augmenter de nouveau ses tarifs publics de plus de 3% - sauf pour ses abonnés payant des coupons de réduction. Nouveau record battu mardi dernier entre Dijon et Strasbourg, le bourg des stars, trajet réalisé en 6h30 au lieu de 2h20 en temps normal, sans excuse de l'exploitant ni raison précise invoquée. Bien sûr, il n'y a jamais eu non plus autant de TGV en circulation tous les jours. Mais le "cadencement" des départs de TGV généralisé depuis peu devait en principe permettre de réduire la fréquence des retards et autres anomalies, ce qui ne semble pas être le cas.
Au moment où la SNCF vient de verser 283 millions d'euros de dividendes à l'état actionnaire pour honorer ses engagements en cas de profit, tout cela fait un peu désordre. Il n'y a plus de service public que son contraire: la SNCF et l'Etat semblent à présent se servir directement dans les poches des clients de la première pour une qualité de service dégradée, à des années lumière de celle qui existait du temps des trains à vapeur, puis des trains corail, des express et des "rapides" d'antan.
Ce record récent s'ajoute à ceux, nombreux, d'horaires à rallonge entre Paris et Nice, via Lyon et Marseille, où le timing s'allonge parfois de 30 minutes à trois heures, entre Paris et l'Atlantique, où l'on peut profiter de son siège de vingt minutes à 4 heures supplémentaire en cas d'incident, de panne de "sifflet" (pas celui du contrôleur, celui du TGV), ou encore de sanglier, de vache sur la voie, si ce n'est pas un si pudiquement baptisé "accident de personne" (traduire suicide).
De plus en plus souvent, les personnels de la SNCF à quai n'ont plus le temps - ni la consigne - de donner aux voyageurs arrivant au terme de leur voyage avec plus de trente minutes de retard une enveloppe de renvoi de leur billet au service "SNCF REGULARITE" (quel joli nom), afin qu'ils perçoivent en retour un bon de voyage en compensation "d'un retard éligible à l'Engagement Horaire Garanti (EHG) voire un rétro-virement sur leur compte bancaire, uniquement lorsque le retard est supérieur à 60 minutes à leur entrée en gare d'arrivée...
A en croire nos confrères des Dernières Nouvelles d'Alsace et du Bien Public, lequel a révélé l'incident de mardi sur son site internet, le trajet de Dijon à Strasbourg a donc duré 4h10 de plus mardi dernier, sans aucune forme d'explication claire de la part de l'équipage, lui-même probablement incité à minimiser les choses et à ne répondre que laconiquement aux questions des passagers.
TÉMOIGNAGES
Lisez donc le témoignage des voyageurs cités dans le Bien Public: "Dépités, les passagers du TGV au départ de Dijon à 7 h 52 mardi, qui devait rallier Strasbourg à 10 h 10 : ils ne sont arrivés qu’à 14 heures, après moult péripéties… et sans un mot d’excuse. L’un d’entre eux Jean-Charles, qui avait des rendez-vous en fin de matinée dans la capitale alsacienne, raconte : « Ça a commencé par une annonce à la gare de Dijon : on nous disait que le TGV de 7 h 52 aurait un retard indéterminé. Dix minutes plus tard, on nous a demandé de prendre un TER à 8 h 10, sur le quai E ; Direction Besançon, où tout était prévu pour nous organiser une correspondance vers Strasbourg. Mais à la gare de Besançon-ville, il n’y avait personne à l’accueil, personne au courant de notre arrivée et personne pour nous renseigner. L’une des passagères, qui commençait à être en colère, a fini par entrer dans des bureaux pour se faire enfin entendre. Alors au bout d’une demi-heure, on nous a expliqué qu’il nous fallait nous rendre à la nouvelle gare TGV, située à 15 km de Besançon ! Bien entendu, rien n’avait été prévu pour nous acheminer, et on nous a dit qu’on n’avait qu’à faire comme les autres, prendre une navette, puisque le prochain train pour Strasbourg ne partait qu’à midi 05. Nous étions une trentaine à être franchement en colère. A la gare TGV, bien entendu, personne n’était non plus au courant. Mais nous sommes tombés sur un membre du personnel commercial fort compréhensif, qui nous a donné des billets en première classe pour le TGV de Strasbourg. Mais là encore, l’information n’est pas passée entre membres du personnel, et le contrôleur du train a été fort peu aimable, nous demandant de façon très insistante la façon dont nous avions pu nous procurer des billets de première classe ! Il m’a même dit que je lui faisais perdre son temps ! Un comble. Le résultat est que nous sommes arrivés à Strasbourg à 14 heures, sans un mot d’excuse, sans rien à manger ni à boire, en nous débrouillant seuls de gare en gare, et en affrontant un personnel qui n’a eu de cesse de rejeter la faute sur les autres et ne nous a aidés que contraint et forcé. C’est une honte ! Et la trentaine de passagers qui a vécu cette aventure partage à l’unanimité mon avis. » La SNCF restée silencieuse dans un premier temps, a fini par publier un communiqué où elle reconnaît entre les lignes outre le souci technique, le fait qu'elle comprend le souci causé à ses clients:
EXPLICATIONS DE LA SNCF
« Il y a eu un moment de flottement au départ de Dijon. Les agents d’accueil sur le quai ont conseillé aux clients de prendre un TER pour récupérer un TGV à Besançon, mais presque dans le même temps, on apprenait que le TGV allait finalement arriver à Dijon. Une trentaine de voyageurs ont pris le TER. A Besançon, il n’y avait personne à l’accueil parce que l’agent de la bulle d’information accompagnait un voyageur à mobilité réduite. Il a ensuite orienté les voyageurs vers une navette pour la gare de Besançon-Franche-Comté TGV. Là, nos collègues ont fait un geste commercial en offrant un billet de 1 re classe aux passagers. Mais la machine de vente n’est pas encore en capacité de sortir des billets comportant le code de rupture de correspondance. Et les agents d’accueil n’ont pas eu le temps d’aller expliquer leur démarche au contrôleur, qui a lui-même appliqué le règlement. Bien entendu, la SNCF présente ses excuses à ces clients, et la direction de la communication régionale se tient à leur disposition s’ils souhaitent des explications complémentaires. »
Dont acte. Toutefois, il est bon de noter l'addition des obstacles à la régulation normale du trajet, y compris le disfonctionnement de la machine de vente, elle aussi ignorant techniquement la possibilité d'un changement de billet "pour cause de rupture de correspondance". A ajouter au nombre de fois où les dites machines vous vendent des billets non placés, en surnombre, garantissant un voyage debout dans l'espace de circulation inter-rames, ou encore en voiture bar 4 ou 14, selon.
Dans d'autres cas, la présence de voyageurs sans billet oblige les contrôleurs à faire attendre les TGV en gare étape de 5 minutes à un quart d'heure, le temps pour leurs collègues à quai d'appeler la police et de leur remettre les passagers clandestins.
AUTRES INCIDENTS
Le nombre des passagers empruntant les lignes TGV sans acquitter de droit de transport augmente de façon exponentielle, ceux-ci sachant que dans le pire des cas, leur passage au commissariat local ne dure que quelques minutes et qu'ils ont effectué le trajet gratuitement et sans risque au-delà d'une amende qu'ils n'acquitteront jamais, car il leur suffit de donner aux policiers une adresse périmée - celle figurant sur leurs papiers s'ils en ont sur eux - ou de ne jamais répondre aux envois de PV. En effet, la police à d'autres chats à fouetter...
Récemment, une voyageuse fraudeuse a été interpellée par des contrôleurs entre Paris et Angers, après avoir pris un TGV sans billet "parce qu'il était trop cher", insulté les contrôleurs lors du contrôle, changé de wagons plusieurs fois pour leur échapper, avant de subtiliser de l'argent dans le portefeuille d'une passagère endormie, qui s'en est rendu compte et lui a couru après dans le train. Les deux voyageuses, la voleuse et la victime, sont passées en courant devant les deux contrôleurs en service dans ce TGV. Aucun d'eux n'a bougé sur le moment alors que la passagère victime criait à qui voulait l'entendre: "arrêtez-la! Elle vient de tenter de voler mon sac et m'a volé de l'argent". En fin de compte, d'autres passagers se préparant à descendre ont bloqué la jeune délinquante près d'une porte de sortie, permettant aux contrôleurs de signaler aux contrôleurs à quai de quelle voiture la jeune délinquante allait sortir afin que la police puisse venir procéder à son interpellation formelle. Au total, les autres voyageurs ont subi un retard égal à près d'un quart d'heure.
CULTURE DU RETARD NORMAL
En conclusion, il convient d'évoquer aussi les raisons de retard "indépendants de la volonté de la SNCF, tels que grève des personnels - environ 5 à 7 journées affectées par an, entraînant des retards parfois supérieurs à trois heures voire des annulations pures et simples de TGV pour lesquels des billets ont été vendus ou encore des impossibiltés de pratiquer des téléréservations par internet à compter du préavis de grève - incidents ou retards liés auc conditions météorologiques comme durant l'hiver 2010-2011 où la neige a effectivement entraîné un bon nombre d'incidents, de ralentissements imposé, de pannes pures et simples en pleine voie.
Le pire est le sentiment partagé par un nombre croissant de voyageurs qu'une culture de l'approximation horaire est en train de s'imposer sur les rails français, à l'image de celle qui existe depuis longtemps - bien avant la privatisation de la British Railways - en Angleterre et dans une moindre mesure en Allemagne ou en Italie. Il devient "normal" qu'un TGV parte en retard de quelques minutes ou n'arrive qu'un quart d'heure après l'heure annoncée au départ. Et là, bien sûr, la SNCF ne s'excuse plus de rien, comme elle avait coutume de le faire voici quelques années encore.
Comme le disait la SNCF dans un slogan publicitaire déjà ancien, "le progrès ne vaut que lorsqu'il est partagé par tous". Sans doute doit-on en conclure que le PDG de la SNCF M. Guillaume Pepy, les dirigeants français et les voyageurs en classe affaires des vols intérieurs français ne partagent que rarement les destinées des usagers du rail, même en première classe. C'est au moins une forme d'égalité qui subsiste: lorsqu'un TGV est en retard, les wagons de première n'arrivent les premiers que lorsqu'ils sont en tête du train, ce qui n'est pas toujours le cas. Proposons donc à la SNCF ce nouveau thème pour redorer son image:
TRAINS DE LA GRANDE VADROUILLE (TGV):
LE RETARD NE VAUT QUE LORSQU'IL EST PARTAGE PAR TOUS!
HEUREUSE ANNEE 2012 SUR NOS LIGNES A GRANDE VITESSE, EN PRENANT VOTRE TEMPS :)